LES ANNÉES SOMBRES ET LES MAQUIS NIVERNAIS
Histoire des Maquis Nivernais, par M. Daniel Bot (Conseiller Municipal)
La Seconde Guerre Mondiale : historique succinct et partiel de la Résistance dans la Nièvre
A cette époque comme dans une grande partie du monde, notre village et ses habitants ont traversé avec de rares bonheurs la Seconde Guerre Mondiale (1939-1945). La France est entrée en guerre le 3 septembre 1939. Mais très vite il a fallu passer par la débâcle de l’armée française, l’exode d’une partie de la population, l’occupation de la zone nord par l’armée allemande et, faisant le pendant à cette tragique dynamique, garder une lueur d’espoir avec la résistance intérieure et extérieure.
Le 17 juin 1940, l’Etat français de Vichy demande la cessation des combats par la voix du maréchal Pétain qui accepte de coopérer avec l’envahisseur. Dès le 18 juin 1940, à ce renoncement s’est opposé depuis Londres l’appel du général De Gaulle invitant à l’inverse à ne pas se résigner ni accepter docilement la défaite et une forme de coopération avec l’envahisseur.
La force de cet appel a donné le signal de départ pour mettre en œuvre cette idée, depuis l’Angleterre ou depuis le territoire français ou ses départements extérieurs et colonies de l’époque1, de se préparer à reprendre en main le destin de la Nation. Cela a été un lent et long cheminement. Mais, grâce aussi au soutien important de la coalition de l’ensemble des nations alliées, au bout de ce chemin c’est bien la Libération si douloureusement espérée qui a connu son aboutissement avec la capitulation de l’Allemagne le 8 mai 1945 après que l’armée soviétique ait conquis la capitale Berlin.
N’étant ni un chercheur, ni un historien, autrement dit un « spécialiste », pas plus qu’un natif de la Nièvre, n’appartenant pas plus aux générations qui, il y a environ 70 ans, ont eu à partager cette époque, j’ai donc « fait avec les moyens du bord » ; les miens et ceux d’autres que moi-même pour élaborer cet article.
J’espère ne pas avoir omis de citer ou d’approfondir trop d’éléments essentiels sur un sujet aussi vaste. Ma motivation première a été de solliciter la curiosité et l’appétit de participer à la mise en commun de savoirs. De plus je ressens la nécessité de périodiquement se remémorer ou transmettre certains éléments de notre Histoire. En tout cas, sans la solidité de certaines références2, je n’aurai pas produit grand-chose. Alors, avant tout grand merci à tous ces autres.
Concernant La Chapelle-Saint-André, j’ai pu constater qu’aux alentours l’aspect mémoriel n’est physiquement pas totalement absent. Tout d’abord au plus près : le monument aux morts de la commune comprend 6 noms « morts pour la France » à cette époque.
De plus, deux stèles incrustées d’une Croix de Lorraine sont disposées en périphérie du centre bourg. L’une d’elles se situe sur la route conduisant à Menou ; un peu au-delà du Moulin de Corbelin. Ce monument est lié au groupe des maquisards du Corps francs nommé Charles Péguy. Il avait été créé par son initiateur Marian Tynduck en mai 1944. Son commandement avait été confié à Géo Fournier et à André Vilnat.
Le 4 juillet 1944, ce maquis était venu s’approvisionner en eau à la source de Chappe. Cependant, ayant été dénoncé, 11 personnes y avaient été faites prisonnières tandis que 4 autres étaient parvenues à s’échapper et à se réfugier au Moulin de Chappe (commune de Menou). Parmi eux, 3 seront abattus tandis qu’1 seul réussira à s’enfuir. Quant aux prisonniers, ils seront fusillés le lendemain à la caserne Binot à Cosne.
L’autre est implantée en bordure de la route conduisant à Entrains-sur-Nohain, à proximité des Grands-Bois. Il y est indiqué que le 8 juillet 1944, 10 personnes, dont 3 inconnus, y ont laissé la vie. C’était certains de ceux qui avaient survécu du maquis Péguy le 4 et qui, après l’échauffourée à la source de Chappe, s’étaient réfugiés aux Grands Bois. Ils périrent lors de leur encerclement tandis qu’un civil y laissa la vie dans l’incendie de sa maison-café.
Qui étaient ces personnes ? Sans doute, des gens du village ou pour certains des villages alentours, peut-être « d’innocents passants », des otages, sans aucun doute la plupart étaient-ils des résistants. Un monument commémoratif des maquisards du groupe Péguy a été élevé à Cosne.
Après la signature de l’armistice le 22 juin 1940, le territoire français est composé de la zone nord occupée par l’armée allemande. Ce secteur est séparé par la ligne de démarcation (longue de 1200 km) au-delà de laquelle, au sud, existe la zone libre3.A l’époque, le département de la Nièvre se trouvait en zone occupée. Au plus près, il fallait se rendre dans le Cher, dans l’Allier ou encore en Saône-et-Loire pour trouver la ligne de démarcation et, permettre pour certains, « l’évasion » toujours risquée pour passer en zone libre.
Durant cette période, non loin de La Chapelle, Clamecy avait été occupée par l’armée allemande dès le 16 juin 1940. Des exactions ont été commises par les troupes d’occupation. En effet, deux jours après leur arrivée, les occupants effectuent un « tri ethnique » parmi les prisonniers. C’est ainsi que 44 prisonniers de guerre appartenant à différents régiments de tirailleurs africains (algériens, guinéens, ivoiriens, marocains, sénégalais, soudanais) y sont massacrés.
N’en restant pas là, le 18 juin 1940, le monument aux morts de la ville sera profané par l’armée d’occupation qui ne quittera Clamecy que le 19 août 1944.
Alentours, le Maquis du Loup verra le jour en avril 1944. Il est actif à Clamecy et sa proximité, mais aussi jusque du côté de Vézelay et de Saulieu. Ce maquis, dont le chef était Georges Moreau (dit Le Loup), coiffeur à Clamecy, était basé à Creux (près du lieu-dit La cage au loup) ; hameau de Villiers-sur-Yonne. Mais précédemment à la création du maquis dès juin 1940, avec quelques amis Georges Moreau résiste comme il peut. Citons par exemple qu’en avril 1941, alors que les Allemands veulent récupérer le bronze du buste de Claude Tillier4, les amis réussissent à le leur subtiliser.
Une autre figure marquante de la résistance à Clamecy fut Janette Colas. Elle était téléphoniste à la poste de Clamecy. En lien avec Georges Moreau, elle a, entre autres faits de résistance, assuré la liaison avec le mouvement du colonel Rémy5, a contribué au démantèlement d’un réseau d’espionnage à l’ambassade de Norvège, et encore aidé au passage en zone libre de nombreux clandestins.
De par ses fonctions à la poste, Janette Colas a aussi contribué à ce que des courriers de dénonciation soient « égarés » avant qu’ils ne parviennent aux autorités militaires ou miliciennes destinataires. Elle s’impliquera aussi dans la distribution de tracts et journaux… Et, lorsqu’il se constituera, elle deviendra secrétaire du Maquis du Loup. Il comptait 770 maquisards en 1944. Le maquis a participé à la libération de Clamecy et le même jour et les suivants à des coups de main à Moulot, à Varzy et encore à Lormes, Vézelay, Tannay, etc.
Pourtant, fin 1942 aux tous débuts de l’existence de quelques maquis dans la région il y avait encore peu de participants, de l’armement rare et inadapté. Le maquis naissant fournissait alors principalement du renseignement.
Dans celui du Morvan, on y vivait dans la clandestinité, le plus souvent dans des cabanes. Suite à des parachutages de l’aviation anglaise, des parachutes étaient récupérés pour les transformer en tentes. Afin de trouver de l’argent pour acheter des victuailles, on fabriquait du mobilier en bois bon marché et celui-ci était discrètement mis en vente.
Outre de l’armement, de l’argent a aussi été envoyé de Londres via des parachutages. Les maquisards pouvaient ainsi payer ceux qui prenaient le risque de les fournir en ravitaillement.
C’est à partir de 1943 que les rangs des maquis ont sensiblement grossi. Car de plus en plus nombreux, des juifs, des communistes, des personnes réfractaires au STO6, des étrangers (parmi eux de nombreux républicains espagnols7) ont trouvé refuge dans la clandestinité des maquis du Morvan.
Jean Longhi (dit Grandjean) était allé combattre en Espagne en 1936. Il a ensuite participé à la Résistance sur Paris en 1940 avant d’arriver dans le Morvan. Avec son ami Paul Bernard (dit Camille), ils ont créé le maquis Camille. Camille et Grandjean sont devenus des figures importantes du Maquis du Morvan.
Certains habitants ont ouvert leurs portes pour offrir à des blessés du maquis le réconfort et le repos nécessaires à leur convalescence. Si quelques femmes étaient des combattantes d’autres faisaient fonction d’infirmières.
Les maquisards étaient évidement qualifiés de « terroristes » par l’armée d’occupation. C’est vrai que dès que possible ils tendaient des embuscades. Grâce au maillage des maquis sur le territoire, ces groupes d’action allaient prêter main forte à d’autres maquis en difficulté, faisaient sauter des voies de chemin de fer, des écluses, des ponts et même des entrepôts contenant des bottes de foin, du blé, etc., tout ce qui pouvait être réquisitionné pour servir les troupes ennemies.
Même si le 10 juin 1944 Oradour-sur-Glane (Haute Vienne) est tristement resté célèbre pour avoir été le théâtre du massacre le plus important perpétré en France par l’armée allemande en déroute, près de nous le village nivernais de Dun-les-Places a lui aussi connu des atrocités les 26, 27 et 28 juin 1944 : utilisation de la terreur auprès de la population, pillages et exécution de 27 personnes sous le porche de l’église. Dans la Nièvre, durant la même période, Lormes, Donzy (et d’autres) ont connu aussi des atrocités commises auprès d’otages civils. En fait, partout en France de nombreux villages ou villes ont été martyrisés.8
Considérons cependant que tous les soldats allemands n’ont pas participé à ces actes malveillants. Nombreux, principalement dans la Wehrmacht, n’y étaient pas favorables…
Dans l’été 1944, le Morvan comptait pas moins d’environ 30 maquis. Et c’est 10 000 maquisards qui y vivaient et y combattaient. Certains d’entre ceux du Morvan ne se sont pas uniquement contentés du maquis morvandiau puisqu’ils sont allés poursuivre leur engagement jusqu’en Allemagne (jusqu’à Stuttgart, Land du Bade-Wurtemberg, avec l’armée du général de Lattre de Tassigny) où ils ont été démobilisés…
Durant la période 1939-1945, la France et les Français résistaient ou collaboraient plus ou moins. La plupart faisaient juste ce qu’ils pouvaient pour faire face aux diverses restrictions et pénuries et ainsi a minima s’assurer de pouvoir se nourrir et se chauffer.
Pour bien trop, les maquisards du Morvan, et ceux qui leur ont apporté leur soutien, ont mis en péril leur vie. Certains l’ont perdue au combat. D’autres ont été déportés, fusillés, blessés dans leur chair et à coup sûr dans leur âme.
Mais peut-être par-dessus tout, étant donné le terrible enjeu, ils ont eu le courage de tenter de combattre le diktat, l’oppression et la barbarie des tenants et exécutants du IIIème Reich9. A ce titre ils ont largement mérité notre éternelle reconnaissance.
Pour finir, ajoutons que ceux du Morvan n’étaient pas les seuls maquisards du pays. Et il faut donc aussi tout particulièrement saluer celles et ceux de Bretagne et du Vercors. Leur acte de résistance à toutes et tous doit nous aider à ne pas oublier, à garder et transmettre leur mémoire, leur refus que la liberté soit contrainte par de telles destructrices chaînes apposées par ceux à l’époque qui se sont faits les chantres de la folie humaine…
Daniel Bot, La Chapelle Saint-André le 22 septembre 2022
1 Avec notamment les troupes françaises d’Afrique fusionnées par la constitution des Forces Française Libres en août 1943.
2 Contact avec l’association Histoire et Patrimoine Chapellois, articles du Journal Du Centre, visites au musée de la résistance à Saint Brisson et au mémorial de Dun-les-Places, lecture partielle de « Le Morvan pendant la seconde guerre mondiale – témoignages et études » de Marcel Vigreux, 2020 édition revue et augmentée ARORM, 343 pages, contact et supervision de cet article avant sa publication par la responsable du Musée de la Résistance en Morvan.
3 Avec l’opération Torch le 8 novembre 1942, les Alliés débarquent en Afrique du Nord et allemands et italiens envahissent la zone sud le 11 novembre.
4 Pour mémoire, Claude Tillier (1801-1844) est un clamecycois auteur entre autres de « Mon oncle Benjamin ».
5 Le Colonel Rémy, Gilbert Renault de son vrai nom, a organisé, développé l’un des réseaux de renseignements les plus importants de la zone occupée : La Confrérie Notre-Dame.
6 Prolongement de la politique vichyste de la « relève » mise en œuvre début 1942, le Service du Travail Obligatoire a été institué en février 1943 et concernait tous les jeunes nés entre 1920 et 1922.
7 Après des engagements armés en 1936, certains de ces républicains avaient fui le régime dictatorial national catholique du général Francisco Franco (1892-1975).Sans toutefois entrer en guerre, l’Espagne a apporté son soutien aux forces de l’Axe (Allemagne, Italie, Japon).
8 Les succès des débarquements alliés de Normandie (le 6 juin 1944) et de Provence (le 15 aout 1944) et la défaite des allemands après 7 mois de bataille à Stalingrad (le 2 février 1943) sur le front Est ont contribué à la libération de la France et à la fin de la guerre en suite. Cela a aussi généré la prise en tenaille et la retraite de l’armée allemande vers le nord-est et ses frontières. Sur son passage, elle a semé des traumatismes auprès de populations civiles engagées ou non dans la résistance.
.
9 A la république de Weimar a succédé le IIIème Reich (IIIème Empire). Adolf Hitler en a été nommé le chancelier à partir de 1933 et a, la même année, été élu chef (führer) du parti nazi (contraction de national-socialisme). L’italien Benito Mussolini (1883-1945) et son régime fasciste se sont montrés des alliés de taille.